Exclusif - notre enquête annuelle Prix du lait 2022 : une année record sans les sommets attendus
Les prix du lait n’ont jamais autant augmenté qu’en 2022 : en moyenne de 77 €/1000 l dans l’observatoire de L’éleveur laitier. Cela aurait pu être bien plus si la distribution n’avait pas freiné ses hausses tarifaires et si les industriels n’avaient pas mis un coup de rabot sur la valorisation beurre-poudre.
Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.
L’année 2022 a battu tous les records de prix du lait. Les leaders français que sont Lactalis, Savencia et Eurial-Agrial ont fini l’année avec des prix moyens en Bretagne-Pays de la Loire dans un mouchoir de poche : entre 448,5 € et 450,5 €/1000 l dans l’observatoire du prix du lait de L’éleveur laitier, soit une hausse de 83 € à 86 € (+23 %) par rapport à 2021. Après son décrochage à partir de juillet, Sodiaal, lui, atterrit en deçà à 433,37 € et +73 € (+20,3 %), ce qui a contribué au décalage de la filière française par rapport à son environnement européen. Ces prix records ont en effet un goût amer pour les éleveurs français.
La France, bonne dernière en 2022
Selon Eurostat, la France est la bonne dernière des prix du lait des grands pays européens. Pour des éleveurs français payés 444,70 €/1000 kg, leurs collègues nord européens ont perçu 89 € à 132 € de plus : de 533,8 € pour la Belgique à 576,5 € pour l’Irlande. Idem pour les Italiens et Espagnols qui enregistrent respectivement 485 € et 452 €. La Pologne fait mieux : 490,40 €. Pour une ferme de 600 000 kg, ce sont 24 000 € (Italie) à 79 000 € (Irlande) supplémentaires de chiffre d’affaires. Les hausses de prix beaucoup plus rapides et plus élevées qu’en France permettent aux collègues voisins de mieux faire face à l'augmentation des charges et surtout de constituer une réserve de trésorerie. Elle sera bien utile en cas de retournement de marché. Selon le dernier indice Ipampa publié par l’Institut de l’élevage, les charges ont progressé de 17,5 % en un an. Soulignons qu’il n’intègre pas les services, en particulier les travaux par tiers qui sont soumis à l’inflation sur les carburants (+25 %).
Manque de transparence sur les produits industriels
Le sentiment des producteurs français de ne pas avoir profité pleinement de l’embellie des marchés est renforcé par le manque de transparence des transformateurs. Ils ont imposé il y a près d’un an la suspension de l’indicateur de valorisation beurre-poudre du Cniel, pointant un coût de fabrication des produits industriels déconnecté de l’inflation sur l’énergie. Le Cniel a annoncé sa mise à jour en février ou mars prochain. « Il est urgent d’avoir de nouveau un indicateur officiel », insiste Yohann Serreau, le nouveau président de l’Union nationale des éleveurs livreurs Lactalis. « Lactalis nous indique un coût de fabrication de 145,40 €/1000 l, mais nous ne sommes pas en mesure d’objectiver ce niveau. » C’est le double par rapport à ce qui était déduit avant la suspension de l’indicateur, soit 15 € à 20 €/1000 l en moins dans le prix du lait de Lactalis. L’année 2022 n’a pas été facile pour l’Unell et les autres OP Lactalis, mais aussi pour les adhérents de Sodiaal, tous confrontés à la suspension de la formule de calcul du prix au début de l’été (infographie sur les 4 leaders français).
Savencia : des prix sans accord avec Sunlait
Le manque de transparence est aussi chez Savencia qui a fixé les douze prix de base mensuels sans l’accord de Sunlait. « Nous continuons à être payés en dessous de ce que permet notre protocole de juin 2018 », indique Loïc Delage, président de Sunlait, sans en dire plus car l’AOP est en appel de procédure judiciaire contre le fromager pour inapplication contractuelle. Mais un accord avec Savencia ne signifie pas automatiquement un prix plus élevé. Créée en 2021, l’OP ligérienne Les 3 Rivières, qui a conclu des accords une bonne partie de l’année, obtient une hausse similaire : + 83,66 € contre +83,83 € pour l’OP Cleps-Sunlait. Seule, FMB Sud Ouest se démarque. Elle affiche la plus forte hausse des 55 laiteries suivies dans notre observatoire (celles absentes du tableau sont sur www.eleveur-laitier.fr) : + 114,16€. L’application d’une nouvelle formule depuis juillet 2022 a apporté environ 40 € de plus aux prix de base mensuels. Comme Sunlait, FMBSO avait assigné le fromager en justice pour non-respect du contrat. Le différend s’est clôturé en juillet par une résolution à l’amiable. Quant aux coopératives, elles n’affichent pas leur façon de calculer les prix de base (hormis Sodiaal jusqu’au premier semestre 2022).
Les PME traînent le boulet des PGC français
Malgré ce manque de transparence, reconnaissons aux industriels une année compliquée face à une grande distribution qui a renâclé à augmenter les prix dans ses rayons tout au long de 2022. De novembre 2021 à novembre 2022, l’indice Insee des produits de vente industriels a augmenté de 16,3 %, tandis que les entreprises parlent d’une inflation de +25% sur leurs coûts industriels. La Laiterie Saint-Denis-de-l’Hôtel, spécialisée dans le lait UHT, est emblématique des difficultés rencontrées. Elle ne dépasse pas les +10%. Ses prix de base de la démarche C’est Qui le Patron ?! ont terminé l’année alignés sur ceux de sa filière non OGM classique. N’en concluons pas pour autant que les PGC sur le marché français n’ont plus d’avenir. Sur cinq ans, la moyenne du prix de LSDH CQLP reste dans le top 5 des prix français : 398,67 €/1000 l. Même constat dans le Grand Est chez Milleret et Mulin qui affichent +58 € et +57 € mais dont les prix moyens sur cinq ans sont comparables à celui des leaders français. Ces derniers veulent faire tourner à plein la machine Egalim 2 sur la matière première agricole pour les tarifs 2023 de leurs marques (ou au moins pour le début de l’année). Sodiaal fait faire un bond de 63 € à son prix de base de janvier (483 € contre 420 € en décembre). Savencia continue sa progression à 475 € (Sunlait). Lactalis recule à 456,67 € (Unell) mais pour un prix de revient du lait de ses livreurs monté à 440€ dans le calcul de décembre. À suivre.
Les OP Danone galèrent
Dans ce paysage, les livreurs de Danone estiment être passés à côté de l’envolée des prix. La faute à des formules de prix pas assez réactives à l’évolution du trio coûts de production – vente aux GMS – marchés internationaux. L’année 2022 a été émaillée de manifestations devant les usines et d’un retour des OP et du géant laitier à la table des négociations tous les quatre ou cinq mois. Les corrections apportées ne satisfont toujours les producteurs qui, en Normandie et dans le Sud-Est, étaient de nouveau en négociation fin janvier. Ils ont en travers de la gorge les hausses 2022 qui ne dépassent les 70€/1000l.
La Prospérité Fermière à contretemps
Les adhérents de la Prospérité Fermière ne profitent pas non plus pleinement de l’euphorie du marché, malgré un mix-produit tourné à 90% vers la fabrication de poudres. Depuis plusieurs années, la coop du Pas-de-Calais mise sur une part croissante d’ingrédients élaborés (protéines, bioactifs, etc.) pour s’affranchir de la volatilité du marché mondial. Une stratégie payante en 2020. Ce débouché « hors marché » des commodités explique cette année le décalage du prix 2022. Ce n’est qu’à partir de septembre qu’elle a pu revaloriser son prix de base à 450 € et annoncer pour janvier et février 475€.
Isigny flirte avec les 500 €/1000 l
Pour la cinquième année consécutive, la coopérative normande Isigny Sainte-Mère est l’entreprise qui paie le mieux le lait en France. Grâce à sa collecte 100 % non OGM depuis le 1er janvier 2022, elle hisse son prix à 495,11 € dans notre observatoire (+ 88,77 € dont 13 € de prime non OGM). Deux autres PME sont dans le top 5 : Rians (Centre) à 472,15 € (+76,24 €) et L’Ermitage (ULV) à 476,04 € (+71,37 €).
Pour accéder à l'ensembles nos offres :